En seulement deux ans (1202-1204), le roi de France Philippe Auguste réussit à s’emparer de la Normandie, une tâche sur laquelle s’étaient pourtant cassés les dents ses ancêtres capétiens. Après avoir surpris les contemporains, la fulgurance de cette conquête interroge encore les historiens.
En avril 1202, la Cour du roi de France prononce la saisie de tous les fiefs continentaux du roi d’Angleterre Jean sans Terre, à savoir la Normandie, l’Anjou et l’Aquitaine. Raison officielle : l’Anglais a manqué à ses devoirs de vassal. Mais de la sentence à son application, la marche apparaît haute. Le morceau à avaler est en effet gros. Trop ? Étonnamment, à l’été 1204, l’armée française est parvenue jusqu’au sud de la Loire, soumettant au passage la plus belle pièce, le duché de Normandie. Pourquoi Philippe Auguste a-t-il triomphé si facilement ?
La trahison de la noblesse normande
Dès le début de l’offensive française, d’importants seigneurs normands comme Pierre de Meulan, Richard de Vernon ou Hugues de Gournay abandonnent leur maître Jean sans Terre pour prêter hommage à Philippe Auguste. Leur trahison n’est pas si étonnante. Ce sont des seigneurs frontaliers dont les territoires se partagent entre la France et la Normandie. Ils sont donc aux premières loges en cas de conflit et, pour conserver leurs terres et les protéger des ravages de la guerre, se rangent traditionnellement du côté du plus fort.
Plus surprenante est la défection du comte Robert d’Alençon. En avril 1203, ce seigneur aux positions stratégiques entre la Normandie et la vallée de la Loire accueille Jean sans Terre à dîner. Les deux hommes se quittent bons amis, en s’embrassant, selon les mœurs de l’époque, sur la bouche. Un véritable baiser de Judas. Car quelques heures plus tard, Robert se rallie à Philippe Auguste.
Avant d’être fidèles au roi d’Angleterre, les barons normands suivent d’abord leurs propres ambitions. Leur objectif n’est pas « patriotique » — l’attachement à une Normandie autonome —, mais la préservation de leurs intérêts patrimoniaux et familiaux. Et dans ce but, basculer d’un camp à l’autre est une option stratégique.
Alors que Philippe Auguste lance ses attaques, Jean sans Terre subit donc plusieurs défections parmi ses vassaux, mais cette situation critique n’a rien d’insurmontable. Son père, le roi Henri II Plantagenêt, avait triomphé en 1173-1174 d’une conjuration de rebelles beaucoup plus impressionnante.
La faible résistance des Normands
Les contemporains se sont interrogés sur l’ardeur au combat des Normands. Des forteresses tombent en quelques jours, celle du Vaudreuil se rend même sans chercher à résister.
À cette faible combativité, les historiens Lucien Musset, Mathieu Arnoux et David Bates trouvent une cause profonde : imperceptiblement, le bateau normand se détache de l’Angleterre depuis les années 1140. L’union réalisée par Guillaume le Conquérant en 1066 se fissure. Marginalisés dans l’empire Plantagenêt tant d’un point de vue économique que politique, les Normands perdraient leur motivation à sauvegarder leur appartenance à ce grand ensemble territorial. Tandis que les Anglais accaparent les fonctions à la Cour et les charges locales, les élites marchandes du duché, profitant de l’axe de la Seine, se détournent du commerce avec Londres au bénéfice de Paris.
Cette thèse d’une mollesse normande n’emporte pas l’unanimité. L’historienne Maïté Billoré observe la résistance farouche qu’opposent généralement les garnisons aux troupes françaises (Château-Gaillard tient tout de même six mois) pendant que Daniel Power tempère la marginalisation politique des Normands.
Un incapable aux manettes : Jean sans Terre
On le surnomme la « molle épée ». C’est se moquer de ses piètres qualités militaires. En effet, Jean sans Terre ne ressemble en rien à son frère Richard Coeur de Lion à qui il a succédé sur le trône d’Angleterre en 1199.
Autant Richard recherchait le combat et aimait mettre son corps en danger, autant Jean se tient souvent loin des champs de bataille et des sièges. Pire, alors que le duché subit l’invasion française, le roi d’Angleterre préfère embarquer à Barfleur en décembre 1203 et se réfugier en Angleterre. Quel sentiment d’abandon pour les défenseurs des châteaux et villes normandes ! L’absence de leur maître ne risque pas de motiver les troupes.
Autant Richard, véritable roi-chevalier, suscite plutôt l’admiration ou du moins la sympathie ou l’affection de ses barons, autant le distant et timide Jean décourage les fidélités. Cruel, il se plaît à maltraiter des prisonniers nobles jusqu’à les laisser mourir de faim dans leur cachot. La rumeur lui prête en outre l’assassinat de son neveu adolescent, le comte de Bretagne Arthur. Autant de crimes qui heurtent l’éthique chevaleresque. Avant de monter sur le trône, Jean a montré tant de fourberie que le trahir semble un juste retour des choses. Et, comme on l’a dit, ses barons ne se gêneront pas.
L’obstination de Philippe Auguste
Le roi de France revient de loin. En 1198, poursuivis par les Anglo-Normands, lui et ses chevaliers galopent vers la place-forte de Gisors, mais le pont qu’ils franchissent au-dessus de l’Epte s’effondre sous leur poids. Le roi boit la tasse. Par des lettres, Richard Cœur de Lion informe triomphalement son peuple de l’humiliation subie par son ennemi.
Depuis 1187, le Capétien travaille à affaiblir la redoutable puissance de ses voisins Plantagenêt. Par tous les moyens. Il excite les dissensions au sein de leur famille. Il soutient les vassaux rebelles de l’empire. Il essaie d’entamer la ligne de forteresse qui défend la Normandie à l’est. Mais, tant que Richard vit, les succès français sont modestes. La mort inattendue du Cœur de Lion et son remplacement par le faible Jean sans Terre lui ouvrent de nouveaux espoirs.
Fort d’un domaine agrandi et mieux exploité, Philippe Auguste a les moyens financiers d’appliquer la sentence du 28 avril 1202 prononcée par sa cour : les fiefs continentaux du roi d’Angleterre font l’objet d’une commise, c’est-à-dire d’une saisie. En 24 mois, sans livrer bataille, mais en enlevant les places fortes une à une, l’obstiné monarque soumet le duché. Fait souvent oublié, ses alliés les Bretons lui facilitent la tâche en envahissant simultanément la Normandie occidentale. Les Normands sont pris en tenaille.
L’habileté de Philippe Auguste consiste enfin à ne pas s’aliéner ses nouveaux sujets par des mesures vexatoires. Si bien qu’ils ne réclameront jamais le retour de Jean sans Terre. La Normandie est ancrée à la France pour de bon.
Bibliographie
- Billoré Maïté, De gré ou de force : l’aristocratie normande et ses ducs, 1150-1259, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.
- Flambard Héricher Anne-Marie et Gazeau Véronique (éd.), 1204, la Normandie entre Plantagenêts et Capétiens, Caen, France, Publications du CRAHM, 2007.
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Martin Aurell, « Introduction. Pourquoi la débâcle de 1204 ? », dans Plantagenêts et Capétiens : confrontations et héritages, Brepols Publishers, 2006, p. 3‑14.
Cest vraiment très interressant d’autant plus que je connais la famille de gisor famille de riichard cœur de lion.
Peu à peu les rois francs vont aggrandir leurs domaines pour devenir les rois de France
La croisade contre les Albigeois autrement appelés cathares permit au roi des francs saliens de mettre la main sur les terres du comte de Toulouse
Comte du Rouergue
Duc du Narbonnais et Marquis de Provence
En l an 1200…..Simon de Montfort et les autres barons belliqueux du Nord ravagerent le Languedoc et allumérent nombre de bûchers avec la bénédiction de l Eglise de Rome et de k Inquisition conduite par les Dominicains