Le 18 juin 1940, le général de Gaulle appelle les Français à le rejoindre à Londres, mais d’autres Français préfèrent lutter sur place contre l’occupant allemand. Qui sont les résistants normands ? Sont-ils nombreux ? Comment s’organisent-ils ?
L’article suivant est présenté sous la forme d’une interview fictive
Quand commencent les premiers actes de résistance en Normandie ?
Peu après l’installation des Allemands dans la région. Un ouvrier agricole, Étienne Achavanne, passe à l’action deux jours avant l’armistice du 22 juin 1940. Il sectionne les lignes téléphoniques entre la Feldkommandantur de Rouen et la base aérienne de Boos destinée à la Luftwaffe. Ce qui lui vaut d’être fusillé. Il s’agit d’un acte isolé et apparemment solitaire, mais progressivement dès l’été 1940, se constituent des réseaux comme le groupe Morpain au Havre.
Par ailleurs, les services secrets britanniques envoient rapidement des hommes en Normandie pour recruter des informateurs, car une question les obsède : où en sont les préparatifs de l’opération Seelöwe, le projet de débarquement en Angleterre, voulu par Hitler ?
L’appel du général de Gaulle le 18 juin est-il vraiment décisif dans l’engagement des premiers résistants ?
Au risque de mettre à mal une belle légende, je rappellerai d’abord que la grande majorité des Français n’a pas entendu le message de De Gaulle à la BBC. Fuyant devant l’avancée allemande, beaucoup se trouvaient sur les routes de l’exode. De plus, les foyers n’étaient pas tous équipés d’une radio. Enfin, la voix de ce sous-secrétaire d’État à la guerre, peu connu du grand public, n’avait pas encore une grande influence à cette époque. Malgré ces réserves, l’appel du 18 juin mérite son importance par sa force et son caractère prophétique.
Plus que le discours de Londres, c’est tout simplement le patriotisme qui motive les premiers résistants. Ils ne supportent pas de voir leur pays occupé par une armée étrangère. Entre amis ou collègues, au sein des familles, on s’interroge : que faire ? Chacun s’engagera à sa manière.
Traditionnellement, on distingue dans la Résistance différentes organisations : les mouvements, les réseaux et les maquis. Pouvez-vous les définir ?
Les réseaux correspondent à des organisations clandestines à but militaire. Ils collectent des renseignements, évacuent des aviateurs alliés tombés sur le sol français, sabotent des installations allemandes… Leur travail est piloté et coordonné par les services secrets alliés, c’est-à-dire principalement français, anglais et américains. En Normandie, chaque réseau se compose généralement de quelques individus.
Les mouvements se consacrent à la propagande à destination de la population des territoires occupés. Leur action, politique, passe notamment par la rédaction, l’impression et la diffusion de journaux et de tracts clandestins. Parmi les principaux mouvements, signalons Libération-Nord (plutôt socialiste), l’Organisation civile et militaire (plutôt de droite), Résistance (démocrate-chrétien), Front national (qui n’a rien à voir avec le parti des Le Pen, mais se composent notamment de communistes)… Ne sous-estimons pas leur travail. Cette presse diffusée sous le manteau, ces tracts volontairement abandonnés dans les gares et autres lieux publics, contribuent à changer les mentalités dans un pays sonné par la défaite, et plutôt favorable, dans les premières années d’occupation, au régime de Vichy et à la personne du maréchal Pétain.
Les maquis sont des secteurs ruraux où se réfugient des résistants, notamment des réfractaires au travail obligatoire en Allemagne (le fameux STO). À l’exception du maquis Surcouf entre Pont-Audemer et Bernay, les maquis ne sont pas importants dans la région, faute de conditions géographiques favorables (de grandes forêts isolées ou des massifs montagneux). Ce n’est pas le Vercors.
Ne rendons pas étanches ces trois catégories (mouvements, réseaux, maquis). Des mouvements ont pu générer des réseaux ou disposer de branches armées. Enfin, des réseaux ont évolué en maquis.
Les résistants normands sont-ils nombreux ?
Sans prendre trop de risques, on peut avancer le chiffre d’au moins 10 000 résistants en Normandie. Soit une extrême minorité de la population normande (plus de 2 millions d’habitants). Cette faible proportion se vérifie dans le reste de la France. Mais les collaborateurs étaient encore moins nombreux.
Jusqu’en 1944, la Résistance est un phénomène très marginal. Ses effectifs croissent néanmoins après la rupture entre Staline et Hitler en 1941. Les communistes entrent alors en masse dans la Résistance à travers des organisations comme les Francs-tireurs et partisans (FTP) et le Front national. Un autre événement décisif est la loi instaurant le STO (Service du travail obligatoire) en février 1943 : les jeunes Français de 21-23 ans sont réquisitionnés pour aller travailler en Allemagne. Les réfractaires, en recherche de cachette ou de faux papiers, sont récupérés par les réseaux de résistance.
Les effectifs explosent véritablement dans le courant de l’année 1944 alors que le régime de Vichy est discrédité et que l’imminence puis la réalisation du débarquement soulèvent un formidable espoir.
L’activité résistante en Normandie est à haut risque, car la région subit une dense occupation dès 1943. Les troupes allemandes quadrillent le territoire par crainte d’un débarquement allié dans ce secteur. Ce qui arrivera effectivement le 6 juin 1944.
Qui sont les résistants ? Des jeunes ? Des gens pauvres ?
Les statistiques établies par Jean Quellien, Michel Boivin et Michel Baldenweck donnent une sociologie légèrement différente des clichés. Oui, en majorité ce sont des jeunes, mais aussi des gens d’âge moyen (30-45 ans). Les hommes forment 85 à 90 % des effectifs. Les employés et les ouvriers, notamment dans les PTT et la SNCF, forment des effectifs nombreux. Normal, puisque ce sont les principales classes de la population active, en dehors des agriculteurs.
Dans le Calvados et l’Orne, on note toutefois une surreprésentation des cadres, des artisans et des patrons.
Les résistants sont-ils tous gaullistes ?
Loin de là, surtout au début. On a vu les différentes sensibilités politiques qui inspiraient les mouvements de résistance.
Même dans les réseaux, l’influence gaulliste est concurrencée. Certes, la France libre dispose de ses propres services d’espionnage (le BCRA, le Bureau central de renseignement et d’action), mais une partie des réseaux n’en dépend pas. Ils relèvent d’autres services secrets alliés, parmi lesquels le SOE, un service secret britannique. Ironie de l’histoire, certains résistants normands de base découvrent à la Libération qu’ils ne travaillaient pas pour De Gaulle, mais pour les Anglais !
En savoir plus
La trilogie d’articles sur Histoire-Normandie.fr
- Être résistant en Normandie (1940-1944)
- Le vrai visage de la Résistance : le cas de la Normandie
- La libération de la Normandie en 1944 aurait-elle échoué sans la Résistance ?
Bibliographie
- Michel Boivin et Jean Quellien, « La Résistance en Basse-Normandie : définition et sociologie » dans La Résistance et les Français : Enjeux stratégiques et environnement social, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1995, disponible sur Internet
- Journal du Maquis du débarquement à la libération, rédigé par Robert Leblanc, chef du maquis Surcouf, présenté et commenté par Alain Corblin, Société historique de Lisieux, 2014
- Marie-Josèphe Bonnet, Un réseau normand sacrifié. Le réseau Jean-Marie Buckmaster du SOE britannique, Ouest-France, 2016
- Cécile Vast, « Résistance intérieure française » et « Résistant, le phénomène (à travers l’exemple français) », dans Jean-François Muracciole et Guillaume Piketty, Encyclopédie de la Seconde Guerre mondiale, Robert Laffont et ministère de la Défense, 2015, p.1121-1126 et p.1141-1147
- François Marcot, Dictionnaire historique de la Résistance, Robert Laffont, 2006
Musées
- Musée de la Résistance et de la Déportation à Forges-les-Eaux
- Mémorial des civils dans la guerre à Falaise
- Musée de la Résistance et de la Déportation à Manneville-sur-Risle
Podcast
- « La résistance en Seine-Maritime », Au miroir de Clio, interview de Michel Baldenweck par Luc Daireaux, 10 janvier 2016
Vidéo
- Rodolphe et Jacques Rutman, Les sanglots longs des violons… – La Résistance et le Débarquement en Normandie, documentaire produit par Arte France et 13 Production, 2004
Site web
- Collection webdocumentaire : les Résistances, collection webdocumentaire produit par France Télévision. Cette plateforme interactive et pédagogique donne la parole aux derniers témoins de la Résistance et explore les fonds d’archives historiques