Une nouvelle biographie de Guillaume le Conquérant vient de sortir. Son auteur, l’anglais David Bates, brosse un portrait moins glorieux du duc de Normandie devenu roi d’Angleterre. Au risque de fâcher les lecteurs normands.
En fait, ce livre remonte à 2016, mais sa traduction française date de 2019. Son auteur, David Bates, l’un des meilleurs spécialistes internationaux de Guillaume, a au moins le mérite de rappeler que le roi n’a pas toujours laissé un bon souvenir chez les vaincus anglais. Au XIIe siècle, le moine Guillaume de Malmesbury parle de la conquête de 1066 comme « le jour fatal de l’Angleterre, celui du désastre de notre cher pays ». Toutefois, même du côté normand, les textes médiévaux traitant du redoutable duc sont critiques, notamment sur ses méthodes impitoyables de gouvernement.
Bon ou mauvais roi ?
Dès son époque, les jugements sur Guillaume le Conquérant sont partagés.
- D’un côté, il y a ceux qui admirent les résultats : la conquête de l’Angleterre et du Maine, la pacification du royaume et de la Normandie.
- De l’autre, il y a ceux qui déplorent les moyens pour arriver à une telle réussite : la violence excessive, le dépouillement des vaincus anglais, l’âpreté au gain. Sur ces défauts, lire la face cachée de Guillaume le Conquérant.
Les auteurs religieux du Moyen Âge, tant normands (Guillaume de Jumièges, Guillaume de Poitiers…) qu’anglais (Guillaume de Malmesbury, l’auteur anonyme de la Chronique anglo-saxonne…) sont bien embarrassés pour juger le personnage. En dépit de sa piété, ce n’est pas un modèle de vertus chrétiennes. Mais comme Dieu a quand même voulu lui faire gagner la bataille d’Hastings et lui donner la couronne d’Angleterre, le Conquérant ne devait pas être si mauvais que ça. À moins que cela signifie que les Anglais étaient pires, méritant leur punition par les Normands et leur chef.
Du bon usage de la violence
Les chroniqueurs évoquent un Guillaume brutal, violent, cruel. Certains d’entre vous répliqueront que les gens du Moyen Âge l’étaient tous. L’époque faisait ça. Toutefois, selon David Bates, la violence de Guillaume dépasse « les normes contemporaines ». C’est un outil privilégié dans sa panoplie d’homme d’État.
Il l’emploie pour punir les atteintes à son honneur et à son autorité. Par exemple, en 1052-1053, les défenseurs d’Alençon auraient raillé du haut des murs le duc sur les origines modestes de sa mère Arlette. Guillaume fit prendre la place d’assaut, la détruisit par le feu et fit couper les pieds et les mains des moqueurs.
Il utilise aussi la violence pour intimider ses potentiels ennemis, ses vassaux ou ses voisins. À tous les soulèvements, le duc-roi réagit promptement et durement. Si bien que les indécis s’abstiennent de rallier les premiers rebelles.
À l’inverse, le roi emploie également la violence pour provoquer l’ennemi. En septembre-octobre 1066, aussitôt débarqués dans le sud de l’Angleterre, l’armée normande et ses alliés ravagent le pays. Affecté dans son rôle de protecteur du royaume, Harold se précipite à marche forcée vers les fauteurs de troubles. Quitte à ne pas attendre les soldats retardataires. Le roi anglo-saxon se présente à Hastings avec une armée incomplète. C’est justement ce que recherchait Guillaume. Pour suivre les étapes de la conquête de l’Angleterre, j’ai écrit cet article.
Le Conquérant emploie enfin la violence pour ces trois raisons conjuguées comme lors de la dévastation du nord de l’Angleterre en 1069-1070. Sûrement le moment le plus sombre du règne. Excédé par une énième rébellion de cette région, il réprime férocement les habitants. Combattants ou non, les hommes sont tués, les femmes violées. Les moyens de subsistance (récoltes ou bétail) sont brûlés ou pillés, provoquant une famine. David Bates qualifie ce moment terrible de « catastrophe humaine ». Guillaume n’y gagnera même pas la paix définitive puisque la région se révolte 10 ans plus tard.
Une enfance et une adolescence moins difficiles
Comme dans un bon scénario, l’historiographie classique raconte d’abord les difficultés que le jeune Guillaume a connues, puis le retournement de cette situation désespérée.
Le gouvernement de Guillaume semble en effet mal engagé : il est né en 1027-1028 d’une union illégitime entre le duc de Normandie Robert le Magnifique et Arlette, une femme qui n’était même pas noble. Ce bâtard se retrouve à porter le costume de duc dès l’âge de 8 ans, à la suite de la mort précoce de son père. Selon Orderic Vital, sa légitimité aurait alors été contestée par les aristocrates du royaume, notamment les Richardides, les descendants des ducs Richard Ier ou Richard II. D’où une longue période d’anarchie en Normandie jusqu’à la bataille de Val-ès-Dunes en 1047 au cours de laquelle Guillaume, âgé d’environ 20 ans, met enfin au pas les rebelles.
L’historien David Bates relativise les difficultés de la jeunesse. La bâtardise ne constituait pas un handicap très pénalisant à cette époque. Un bâtard pouvait succéder à son père, si celui-ci n’avait pas d’autres enfants. Dans le cas de Guillaume, l’aristocratie, dont le clan des Richardides, le considéra comme légitime successeur de Robert le Magnifique. Il fut donc éduqué en conséquence au gouvernement et à la guerre.
Dans le détail, les périodes difficiles de l’enfance et de l’adolescence se réduisent à deux courts temps :
- les guerres privées vers 1040-1042 au cours desquels meurent plusieurs proches ou tuteurs de Guillaume comme Gilbert de Brionne, Osbern le Sénéchal et Turold
- le complot de 1046-1047 mené par Gui de Brionne et qui vise à renverser le duc
Plus qu’une contestation du pouvoir ducal, les événements des années 1040-1042 doivent être vus dans le cadre des minorités princières : des aristocrates en profitent toujours pour régler leur compte avec leurs voisins ou pour gagner de l’influence à la cour.
Quant au complot de 1046-1047, si un certain nombre de seigneurs y trempe, ce n’est pas parce qu’ils reprochent la bâtardise de leur maître, mais parce que le duc, désormais adulte, récompense certaines personnes au détriment d’autres. Les perdants, frustrés, prennent les armes dans l’espoir de placer un nouveau duc plus favorable à leurs intérêts.
Les incertitudes de l’histoire
Ayant marqué l’histoire, Guillaume le Conquérant a inspiré dès son vivant des écrits sur ses faits et gestes. Il est donc un personnage bien connu du Moyen Âge.
Toutefois, tous les événements de sa vie ne sont pas clairs. Dès 1051-1052, le roi d’Angleterre Édouard le Confesseur a-t-il promis à Guillaume de lui succéder ? Pourquoi Harold, le futur compétiteur de Guillaume, se rend-il en Normandie en 1064 ? Des sources nous donnent bien des réponses, mais faut-il les croire tant elles ne concordent pas exactement entre elles.
Au passage, on ne saurait assez louer David Bates d’évoluer avec facilité dans une masse de sources aussi délicates : des récits contradictoires, partiaux et orientés, des chartes parfois fausses, quelques scènes énigmatiques de la Tapisserie de Bayeux… Selon l’historien britannique, on ne se méfie pas assez des textes du moine Orderic Vital qui semble inventer des anecdotes pour servir ses leçons moralisantes.
Les raisons d’un succès
À la lecture de ses lignes, on pourrait croire que la biographie de Bates se résume à un portrait à charge ou banalisant. Chez les Normands d’aujourd’hui, ce portrait de Guillaume pourrait décevoir, voire fâcher les admirateurs.
L’historien britannique a bien conscience qu’une position négative n’est pas tenable au vu de la réussite du personnage. La chance n’explique pas totalement la conquête de l’Angleterre (même si elle a joué), les raisons principales sont à rechercher dans les qualités du Conquérant.
Sans surprise, David Bates lui reconnaît un « haut niveau de compétence dans la conduite de la guerre ». C’est le moins que l’on puisse dire au regard de ses nombreuses victoires en Angleterre ou sur le continent. Les révoltes contre lui ont toutes échoué.
Doué d’une « intelligence politique », le roi d’Angleterre est aussi un opportuniste. « Il fait preuve d’une détermination remarquable en saisissant au vol les occasions qui se présentaient », écrit son récent biographe.
D’une certaine manière, Guillaume ressemble à ses ancêtres vikings. Ses qualités de commandement et de chef de guerre, son charisme suscitant tantôt la peur, tantôt l’admiration lui attirent le respect, l’obéissance et la fidélité de ses compagnons. Chaque chevalier connaît sa générosité en cas de victoire.
Sans ces qualités, qui aurait osé le suivre dans une aventure aussi risquée que la conquête d’un royaume au-delà de la mer ?
Quelques brèves sur Guillaume le Conquérant
– Guillaume ne parlait pas le vieil anglais. Pour communiquer avec ses nouveaux sujets, il avait besoin d’interprète.
– Même si l’Angleterre, difficile à pacifier, accapara son esprit, Guillaume le Conquérant passa la grande majorité de son règne en Normandie ou dans les régions voisines. Précisément, entre 1073 et sa mort, il resta 76-77 % du temps sur le continent
– Si de nombreux Anglais ont souffert de la domination normande, les esclaves ont dû remercier Guillaume : il a interdit les marchés aux esclaves qui animaient encore les villes d’Angleterre
– Guillaume pouvait faire preuve d’un humour douteux. À un abbé qui lui demandait si la donation à son abbaye était éternelle, le roi d’Angleterre lui fit comprendre que c’était le cas en faisant semblant de lui planter son couteau dans la main. On ne sait pas si l’abbé a eu la peur de sa vie.
– Sans jeu de mots, la femme de Guillaume, Mathilde, ne fit pas tapisserie aux côtés de son époux. Elle fut une véritable partenaire de gouvernement. Pendant la conquête de l’Angleterre, c’est Mathilde qui représente son mari en Normandie. À l’inverse, en 1081-1082, elle remplace Guillaume outre-Manche.
Une biographie à ne pas mettre entre toutes les mains
Non, cette biographie écrite par David Bates ne sera sûrement pas le livre que vous lirez allongée(e) sur la plage, à l’ombre d’un parasol. Déjà parce que le livre vous tombera des mains : 850 pages, ça pèse ! Ensuite, parce que l’auteur ne l’envisage pas comme un ouvrage grand public. N’attendez pas de mise en intrigue, de fluidité dans la narration, de conclusion-résumé. En universitaire chevronné, David Bates décortique les sources jusqu’au mot près. Cette méticulosité peut dégoûter le lecteur peu familier de ce type d’écriture exigeante.
Bref, ne vous lancez pas dans cette biographie si vous connaissez mal les jalons de la vie du personnage. Préférez le livre de Michel de Boüard (si vous le trouvez encore) ou celui plus récent de Gilduin Davy, Guillaume le Conquérant. Le bâtard de Normandie. Ou encore, lisez mes quatre autres articles sur ce personnage controversé.
- La face cachée de Guillaume le Conquérant
- La conquête de l’Angleterre en 1066
- La mort pitoyable de Guillaume le Conquérant
- La vie de Guillaume le Conquérant, de date en date
David Bates, Guillaume le Conquérant, Flammarion, coll. Grandes biographies, 2019. Lien de commande.
les anglais n’ont pas été tendres non plus ! je dirais même très cruels et pourris durant la guerre de cent ans et envers les Irlandais et écossais! du temps de la Stuart et de Cromwell les anglais
étaient de vrais monstres et je reste poli…Alors Guillaume Le conquérant cruel ? non surement pas !
Bonjour,
C’est presque un hasard si je tombe sur votre article : G. Le Conquérant. Je viens justement de terminer ce livre de D. Bates !. Bien que l’ampleur des recherches qu’il a effectué est absolument époustouflante, il y a des détails très particuliers qui donnent le tournis. Mais il ne perd jamais le fil de l’histoire de ce roi . J’ai quand même été un peu perdu dès lors qu’il y a beaucoup de noms qui sont identiques ((plusieurs Guillaume par exemple).Et des intrigues à profusion Il est donc difficile de s’y retrouver. Mais la lecture a été pour moi et malgré tout agréable. Je connaissais bien sûr G. le Conquérant mais pas cette histoire là ! Par ailleurs, je regrette que la vie économique, culturelle et politique ne soit pas abordée ou tout au moins évoquée. Tout est centré sur ce roi, sa vie, ses colères, ses alliances et ses conquêtes. Et c’est parfois pesant.
Par ailleurs, j’avais en tête, avant de lire ce livre, l’image d’un homme véritablement conquérant comme l’indique le titre. Et en fait, j’ai découvert un homme qui a envahi l’Angleterre de force et le plus souvent a vécu en France.
Je vais donc lire vos autres articles.
Bien à vous
Pascal Mercier.
au contraire c’est un plaisir de lire ce genre d’ouvrage où toute conjecture est fouillée , documentée, décortiquée (cf. p. ex. ce qu’il analyse à partir de la taille et l’emplacement du signum au bas d’une charte, ou bien, en creux, l’absence d’une mention dans telle autre…). Evidemment en Guillaume, comme chez tout homme il y a des facettes lumineuses et d’autres sombres, en quoi cela nous fâcherait-il ? Oui la chance lui a souvent souri, rien de choquant .
Enfin, il n’y a pas un ton d’affirmation péremptoire, mais au contraire une prudence et un équilibre honnête dans les éclairages, et il laisse toujours très soigneusement le lecteur libre de se faire son opinion sur chaque proposition énoncée, sans jamais l’enfermer dans la prétention d’un savoir supérieur et pontifiant.
Assez d’accord toutefois avec le commentaire précédent : les prénoms identiques multipliés sans précision, de même que les trop nombreux pronoms (son, il…) dans des phrases longues, ramifiées et mettant en jeu de multiples personnages, nuisent grandement et constamment à la fluidité de la lecture. Dommage. Mais la faute revient au traducteur, assez mauvais il faut bien le dire. A part ceci, ouvrage très intéressant à lire, y compris en ce qu’il nous invite à bousculer un peu notre regard sur Guillaume.