En septembre 1066, une impressionnante flotte d’environ 700 navires aborde les côtes méridionales de l’Angleterre. A son bord, le duc de Normandie Guillaume en route pour acquérir l’épithète de conquérant. Son but est est de ravir la couronne d’Angleterre au roi Harold. Le pari semble présomptueux mais le chef normand a su se préparer minutieusement et profiter de circonstances favorables.
(L’article suivant est présenté sous forme d’interview fictive)
– Rappelez-nous qui était Guillaume le Conquérant
Les historiens le surnomment Guillaume le Bâtard avant la conquête. Il est en effet le fils du duc de Normandie Robert le Magnifique et de sa concubine Herlève, la fille d’un tanneur ou d’un embaumeur de cadavres dit-on. Quand le duc meurt, Guillaume est son seul héritier mais du haut de ses sept ou huit ans, il peut difficilement gouverner. Après une jeunesse délicate – quelques barons normands tentent de l’assassiner -, il réussit à s’imposer dans le duché et à le diriger d’une main de fer.
– Les historiens sont bien renseignés sur l’événement de 1066. Ils bénéficient d’un document exceptionnel, la tapisserie de la Reine Mathilde…
Appelons-là plutôt tapisserie de Bayeux. On a longtemps raconté que c’est la femme de Guillaume le Conquérant, la reine Mathilde, qui avait tissé cette broderie. En fait, l’œuvre qui fait 70 m de long et cinquante centimètres de large ne peut être l’œuvre d’une seule personne. A son origine, il faudrait plutôt voir un atelier qui travaillait sur commande du demi-frère de Guillaume le Conquérant, l’évêque Odon de Bayeux. Quoiqu’il en soit, la tapisserie constitue sûrement l’un des plus importants documents historiques du Moyen Âge. C’est une véritable BD, sans les bulles. On y voit les différentes étapes de la conquête : ses causes, la préparation de l’expédition, le débarquement, la bataille d’Hastings, et enfin le couronnement de Guillaume en roi d’Angleterre (cette partie finale est aujourd’hui perdue). Le récit d’un contemporain de l’événement, Guillaume de Poitiers, nous apporte aussi beaucoup d’informations. Reste un problème : toutes ces sources proviennent des Normands, autrement dit des vainqueurs. Les vaincus ne nous ont pas laissé de témoignages. Il nous manque donc un contre-éclairage.
– Quelles sont les raisons qui poussent les Normands à conquérir l’Angleterre ?
Si l’on suit les sources normandes, le vieux roi anglo-saxon Édouard le Confesseur aurait fait de Guillaume de Normandie son héritier. Faute de descendance, le roi se tourne vers le Normand, qui est son petit-neveu. En 1064, Édouard envoie l’aristocrate le plus en vue de son royaume, Harold, confirmer ce souhait auprès de Guillaume. Guillaume accueille l’Anglais et lui fait jurer sur des reliques de le soutenir le jour où le trône serait vacant. Ce moment arrive le 5 janvier de l’an 1066, quand le roi anglo-saxon Édouard le Confesseur meurt. Or, dès le lendemain, Harold s’arrange pour se faire couronner avec l’accord des aristocrates du royaume.
Harold n’a pas respecté sa parole : il y a donc parjure. Mais restons prudent. C’est la tapisserie qui explique cela. Nous n’avons pas la version des vaincus. En fait, Harold avait autant de droits que Guillaume : les grands du royaume anglo-saxon l’avaient choisi.
– Comment les Normands se sont préparés à l’expédition ?
Quand, en janvier 1066, le duc apprend l’usurpation d’Harold, il ne peut pas réagir immédiatement. Il n’est pas prêt. Car il ne s’agit pas d’aller mater une simple révolte de barons à la frontière du duché. Il s’agit là de la conquête d’un royaume avec un obstacle majeur : la Manche. Par conséquent, il faut des chevaliers prêts à quitter la Normandie pour plusieurs mois et une flotte pouvant transporter cette armée.
La tapisserie de Bayeux nous montre une partie des préparatifs. Des bûcherons abattent des arbres à la hache et fendent le bois. Des charpentiers fabriquent les bateaux. Comment ne pas être étonné de la forme des navires : ils ressemblent aux fameux drakkars des Vikings. Leur proue monte haut et se termine par une tête monstrueuse.
Les principaux barons normands, mêmes les ecclésiastiques, contribuent à la constitution de la flotte. Odon de Bayeux, dont on a déjà parlé, le demi-frère du duc, promet par exemple de fournir 100 bateaux.
Au total, ce sont environ 600 ou 700 navires, peut-être 1000, qui mouillent le 1er août 1066 au point de rassemblement : l’estuaire de la Dives, à proximité de la ville actuelle de Cabourg. Le secteur formait autrefois une large baie.
– Guillaume est prêt à partir mais l’absence de vent retarde le départ de deux mois. Finalement, le 28 septembre 1066, les vents tournent dans le bon sens. Après huit heures de mer, la flotte aborde la côte sud-est de l’Angleterre. La date est idéale car le roi anglo-saxon Harold se trouve alors bien loin du lieu du débarquement…
Oui car Harold et son armée viennent de partir pour le nord du royaume où vient de débarquer un autre ennemi, le roi de Norvège. Harold doit donc faire face à deux débarquements presque simultanés. Pendant qu’il combat les Norvégiens, l’armée normande a tout le temps de s’installer.
La bataille d’Hastings opposa les Normands et leurs alliés aux Anglo-Saxons. Les deux camps n’utilisent pas les mêmes armes : Les Normands sont montés sur des chevaux tandis qu’au sol, les housecarles encaissent les charges
– Le 25 septembre, Harold écrase les Norvégiens à la bataille de Stamford Bridge. Aussitôt, il tourne bride pour aller à la rencontre de son deuxième adversaire, le duc de Normandie. Arrive le moment décisif de cette conquête, la bataille d’Hastings, le 14 octobre…
Oui, celui qui perd la bataille perd tout. Les deux chefs s’en remettent au jugement de Dieu pour déterminer qui est dans son droit. L’issue du combat est incertaine car les deux armées sont grossièrement de même nombre (7000 à 8000 hommes chacune).
– Comment se déroule la bataille ? Comment combat-on à cette époque ?
Les deux camps n’ont pas la même méthode de combat. L’armée anglaise est composée exclusivement de fantassins alors que les Normands comptent des archers et surtout des chevaliers. La tapisserie montre ces derniers combattants. Ils possèdent une lance, qu’ils comptent lancer ou planter dans le corps de leurs adversaires tout en la tenant fermement dans la main. Les Anglais comptent un groupe de soldats d’élite : les housecarles. Leur arme principale, c’est la hache, qu’ils tiennent à deux mains. Une hache à même de couper têtes et membres. La Tapisserie de Bayeux ne manque pas de montrer ce genre de détail. A la différence des chevaliers normands, la force des housecarles est défensive : ils encaissent les charges adverses.
– Une autre caractéristique de l’armée normande, c’est qu’elle n’est pas si normande que ça puisqu’y figure une forte minorité d’autres peuples.
Peut-être même plus qu’une minorité car sur les trois corps qui constituent l’armée de Guillaume, les Normands n’en composent qu’un seul. Sur l’aile gauche, figurent les Bretons et sur l’aile droite, les Flamands et les Français. Guillaume a fait appel aux seigneurs des régions voisines. Il recruta notamment Eustache, comte de Boulogne, et Alain le Rouge, un membre de la famille ducale bretonne. Ces personnes étaient motivées par l’appât du gain et par leurs liens personnels avec le duc de Normandie. Ce ne sont pas des mercenaires.
– La bataille d’Hastings tourne finalement à l’avantage du duc de Normandie. La mort d’Harold assure la victoire aux Normands. Guillaume peut entrer dans Londres quelques mois plus tard et se faire couronner roi le 25 décembre 1066 dans l’abbaye de Westminster. Pourquoi une chute si rapide du royaume ?
Ce ne fut pas aussi rapide que vous le dîtes. En décembre 1066, lors de son couronnement, Guillaume ne contrôle qu’une partie de l’Angleterre, certes la plus importante et la plus riche (Londres, Winchester, Cantorbery). La soumission des autres régions, l’ouest et le nord, est plus théorique que réelle. Dans les années suivantes, Guillaume le Conquérant doit écraser des révoltes anglo-saxonnes. Et on ne peut pas dire que le nouveau roi d’Angleterre se montre tendre. Les historiens anglais appellent l’écrasement des rébellions dans les régions septentrionales Harrying of the North qu’on traduirait par « Dévastation du Nord ». Les Normands massacrent la population et pratiquent la terre brûlée. En vérité, ce n’est qu’en 1071, soit cinq ans après Hastings, qu’on peut affirmer que l’Angleterre est totalement contrôlée. Restent toutefois indépendants le royaume d’Écosse et les multiples petits royaumes gallois.
– La conquête de 1066 inaugure une longue période de destin commun entre la Normandie et l’Angleterre. Jusqu’en 1204 et mis à part deux parenthèses d’environ 20 ans, le duché de Normandie et le royaume d’Angleterre auront le même maître. Que reste-il de ces liens ?
Dans le domaine artistique, l’Angleterre conserve plusieurs monuments d’architecture normande comme les cathédrales de Durham et de Saint-Albans. Mais à mon avis le legs le plus important appartient au domaine linguistique : plusieurs milliers de mots de l’anglais moderne dont on s’étonne de la proximité avec le français proviennent en fait du normand. C’est le cas des mots anglais « cat » (cat en normand, chat en français), « war » (werre en normand, guerre en français) ou « garden » (gardin en normand, jardin en français)…
À lire
- François Neveux, L’aventure des Normands, Perrin, 2006
- Vincent Carpentier, Guillaume le Conquérant et l’estuaire de la Dives, Le Pays d’Auge, 2011
- Stéphane William Gondoin, 1066. Guillaume roi, Charles Corlet, 2002
- Guillaume le Conquérant revu par un historien britannique
- La face cachée de Guillaume le Conquérant
- Les grandes dates de la vie de Guillaume le Conquérant
- La série BD, Arnaud de Bichancourt, chez l’éditeur Assor BD
A regarder
La vidéo d’Histoire-Normandie sur YouTube :
en effet superbe tapisserie qui retrace une petite partie de l’histoire de la Normandie avec Guillaume le Conquérent, des histoires que nous pouvons retrouver en tapisseries grâce à des manufactures françaises qui ont su reproduire la tenture de Bayeux, ici un extrait http://www.tapisseriesdeflandres.com/fr/content/19-la-tapisserie-de-bayeux
Concernant votre avis final : « Mais à mon avis le legs le plus important appartient au domaine linguistique etc… »
Ayant souvent été en mission pour de grosses entreprises en Suède, Danemark, Finlande (jamais en Norvège) je parle allemand et anglais et ai eu la première fois la surprise de croire entendre une langue connue … dès mon premier voyage retour.
Lors des nombreux fait ensuite là-bas ensuite, j’ai assez vite compris à les comprendre et puis donc vous assurez que vous faîtes « fausse route » …
L’anglais ne provient que d’un mélange de langues germaniques scandinaves et d’un français encore assez proche du latin.
C’est seulement dans ce sens là que provient l’anglais actuel !!!
Votre erreur est de faire maintenant exactement la même chose que l’Abbé Boudet dans le seul ouvrage qu’on lui attribuait il y a plus d’un siècle ; je ne le citerai donc pas pour une histoire (voir la fausse littérature tournant autours de Rennes-le-Château que commencent à abandonner tous ses fans.).
Et l ‘action du ménestrel Taillefer ? Ménestrel qui fit la différence à Hasting. Et le départ vers l ‘Angleterre fùt entre autre St Valéry sur Somme contrée normande sous Guillaume.
Il y a aussi les cas des villages situés entre Bresle et Somme qui portent des noms bretons. Selon les écrits se sont des bretons vaincus qui les ont créés après avoir été déplacés à l ‘autre bout du Duché normand.
Et Robin Hood qui selon Dumas a vécut à se moment là ? C’est selon moi l’héritage actuel de cette conquète
Bonjour (11/02/2021). Personnellement, je suis très curieux de l’origine de mon patronyme – Liétard – qui, selon Dauzat, dérive du saxon leo thardo – traduction : lancier invincible. Je ne sais plus qui m’a raconté que le mot était passé dans la langue anglaise : un « leotard » est un collant style aérobic féminin – j’ai vérifié, c’est vrai. Une explication de ce destin assez exceptionnel serait que la cotte de mailles portée par les lanciers était si finement tressée que les flèches anglaises ne pouvaient la transpercer – ceci reste un ? . Pour aller plus loin… les Liétard et dérivés sont assez courants en France et en Belgique, et ma question est la suivante : ont-ils gagné ce surnom – devenu patronyme – à leur retour en Normandie ??? Etaient-ils tous chevaliers, ou certains étaient-ils plutôt fantassins (on en voit sur la tapisserie) ?
Merci d’éclairer ma lanterne.
PS Je suis aussi curieux de l’origine de cette fameuse cotte : où était-elle fabriquée ?
Bonjour, je pense que vous allez trop vite dans votre raisonnement. Les patronymes apparaissent aux XIIe-XIIIe siècle. Donc il est imprudent d’imaginer des liens avec des personnages ou des événements antérieurs. Ce qui est plus sûr : selon Jean-Louis Beaucarnot, Liétard (et ses variantes Léotard, Liard) est un exemple de prénom devenu un nom de famille. Comme votre prénom. Il est complètement hasardeux d’imaginer qu’un M. Olivier avait des ancêtres qui plantaient des olives. M. Olivier avait surtout un ancêtre qui s’appelait simplement Olivier. Pareil pour Liétard.
Bonjour , je crois que vous vous trompez, je parle parfaitement 4 langues germaniques, l anglais est une langue clairement germanique, mais elle est truffée à au moins 30% de mots français, non proche du latín sinon français pur et dur. Énormément de mots existent en doublon, l un germanique et l autre français .