Courageux, redoutable combattant, grand meneur d’hommes, Guillaume l’était assurément au regard de sa victoire d’Hastings et de sa conquête de l’Angleterre. Si on met de côté ces qualités indéniables, qui était le Conquérant ? Découvrons les autres facettes, parfois peu flatteuses, du plus célèbre des ducs de Normandie.
Le bâtard
Si la postérité a surtout retenu son surnom de Conquérant, les contemporains le connaissaient aussi comme Guillaume le Bâtard. Il était en effet le fils du duc de Normandie Robert le Magnifique et de sa concubine Arlette (ou Herlève). Fille d’un bourgeois de Falaise, un marchand de peaux probablement, elle n’avait pas de sang noble. Le jeune Guillaume fut donc aussi bien moqué pour sa bâtardise que pour son ascendance non aristocratique.
En 1051-1052, l’armée du duc assiégea Alençon. Du haut des fortifications, les assiégés se mirent à crier « la pel, la pel al parmentier » (« la peau, la peau du tanneur »). Guillaume s’empourpra de cette raillerie destinée à lui rappeler l’origine sociale de son grand-père. Une fois la ville prise d’assaut, le duc ordonna qu’on lui amenât 32 défenseurs des remparts. Il leur fit couper les mains et les pieds avant de les renvoyer. Car Guillaume pouvait aussi être cruel.
L’impitoyable
Durant son long règne de 52 ans (1035-1087), Guillaume le Conquérant dut affronter maintes rebellions. En permanence, on le vit chevaucher à travers la Normandie et les régions qu’il avait asservies (l’Angleterre, le Maine, le nord-est de la Bretagne) pour écraser sans pitié toutes les oppositions.
Le soupçonnant de complot, le duc en arriva à emprisonner son demi-frère, l’évêque de Bayeux, Odon de Conteville. Pire, vers 1083, il bannit de Normandie son fils aîné Robert Courteheuse qui le détestait.
En même temps, Guillaume sut faire preuve de mansuétude. Dans les années 1050, il rappela d’exil Renouf de Briquessart et Néel de Saint-Sauveur et leur redonna titres et terres. Or, les deux barons avaient trempé, quelques années auparavant, dans le complot destiné à assassiner Guillaume, alors âgé de dix-huit ans environ.
Le cupide
Un moine rapporte dans sa chronique un poème populaire qui devait traduire le sentiment des Anglais à l’égard de leur nouveau roi :
« Il a privé ses sujets
De beaucoup de marcs d’or et de bien des centaines de livres d’argent
Qu’il prit par la force et très injustement
A son peuple, sans même qu’il en eût vraiment besoin
Il sombra dans l’avidité
Et sacrifia tout à son âpreté du gain »
Une fois l’Angleterre soumise, le duc de Normandie a en effet pillé et taxé les Anglais afin de récompenser les fidèles qui l’avaient suivis (notamment les chevaliers normands) et le pape qui l’avait soutenu. L’argent de la conquête servit aussi à doter les abbayes normandes et françaises et à financer les guerres sur le continent contre les grands ennemis de la Normandie, le roi de France et le comte d’Anjou.
Le Domesday Book constitue une preuve supplémentaire de cet appétit d’or. Composé en 1086, ce registre recensait la population anglaise, les biens fonciers et leurs revenus. Ne visait-il pas à obtenir une meilleure efficacité fiscale ?
Le manipulateur
En 1062, le comte du Maine Herbert II mourut sans enfant. Aussitôt le duc de Normandie envahit le Maine pour s’en emparer sous prétexte que le défunt l’avait institué pour héritier. Apparemment, Herbert II avait négligé d’en avertir ses vassaux. Ils s’opposèrent à l’invasion de Guillaume. Le duc, opportuniste, pourrait bien avoir brodé sur les dernières volontés d’Herbert afin de légitimer sa conquête du Maine. Il y réussit d’ailleurs. La capitale Le Mans finit par ouvrir ses portes.
Ce scénario n’est pas sans rappeler les circonstances de la conquête de l’Angleterre. On y retrouve un roi, Edouard le Confesseur, dépourvu d’enfants. Quand il décéda en 1065, Guillaume se déclara son héritier et revendiqua la couronne anglaise. On connait la suite de l’histoire…
Le vaincu
L’homme qui a gagné les batailles de Val-ès-Dunes (1047), de Varaville (1057), d’Hastings (1066), le conquérant de l’Angleterre, du Maine et du Passais, a aussi mordu la poussière. Rarement toutefois.
En 1076, Guillaume le Conquérant assiégeait Dol-de-Bretagne où s’étaient enfermés le comte de Rennes et l’earl Raoul de Gaël. Non seulement la ville résista mais le duc de Normandie fut obligé de lever le siège, bousculé par l’arrivée inattendue de l’armée du roi de France, Philippe Ier. Ce fut la première défaite de son règne.
Deux ans plus tard, l’armée anglo-normande encerclait Gerberoy, une forteresse que le roi de France avait confiée au fils rebelle de Guillaume, Robert Courteheuse. Le père affrontait donc son fils. Une sortie des assiégés désarçonna le duc. Blessé au bras, il manqua de perdre la vie, sauvé par le sacrifice de Toki, un fidèle anglais qui se fit tuer à sa place. Gerberoy fut une humiliation pour le duc. D’autant plus que des témoins auraient identifié le chevalier frappant Guillaume comme son propre fils.
Un méchant prince ?
En 1069, Guillaume parcourait la région du Humber, dans le nord de l’Angleterre, pour mater une énième révolte anglaise. Il fit rassembler les troupeaux, les réserves de nourriture et les moissons, brûla le tout. Cette politique de la terre brûlée entraîna une famine dans la région qui fit selon le chroniqueur anglo-normand Orderic Vital 100 000 morts.
Féroce, impitoyable, parfois brutal et cruel, Guillaume donne l’image d’un homme dur, même à l’égard de ses proches. Mais le duc était-il si différent des autres princes du XIe siècle, qui durent s’imposer à une société féodale, violente et turbulente ?
Une récente biographie nuance certains aspects de ce portrait. La bâtardise du duc n’aurait pas été autant décriée et Guillaume fut par rapport aux princes contemporains plus violents. Le portrait de Guillaume le Conquérant ne cesse de s’affiner au fur et à mesure des travaux historique sur lui.
Bibliographie
Cet article repose sur la lecture de trois biographies :
- David Bates, William the Conqueror, Tempus, 2004.
- Michel de Boüard, Guillaume le Conquérant, Fayard, 1984
- David C. Douglas, William the Conqueror : The Norman Impact Upon England, University of California Press, 1964
Quel souverain n’a pas commis d’exactions? Et nous serions peut-être anglais…
« (…) afin de récompenser les fidèles
QUI L’AVAIENT SUIVI », si ce n’est pas trop demander …
Excellent article qui donne une image plus nuancée du personnage de Guillaume en tenant compte de l’habitus des souverains guerriers de l’époque.