De nombreux vestiges antiques dorment sous la terre normande. Chaque mois, des fouilles archéologiques les retrouvent. Au IIIe siècle, un cataclysme s’est abattu sur la plupart de ces constructions.
Eloignée de la Méditerranée, la Normandie se trouvait en périphérie de l’Empire romain. Pour autant, ses habitants gaulois n’ont pas échappé à la romanisation de leur civilisation. Les archéologues le prouvent en mettant au jour les villes antiques enfouies sous les villes actuelles ou sous les champs. Les campagnes sont aussi modifiées comme l’attestent les découvertes d’agglomérations secondaires, de grands domaines agricoles et de monuments.
Aregenua, la capitale romaine déchue
La maison au grand péristyle à Vieux, une demeure romaine luxueuse. Reconstitution 3D. Conseil Général du Calvados
Quel privilège partagent les petites villes de Valognes et Lillebonne ? Elle abritent les seuls vestiges romains encore conservés en élévation de toute la Normandie. A Valognes, subsiste un haut pan de mur appartenant à des thermes et à Lillebonne, un vaste théâtre. De ce maigre constat, on pourrait conclure un peu rapidement que la Normandie s’est tenue à l’écart de la romanisation. Où sont passés les temples, les arènes, les arcs de triomphe que l’on peut voir à Nîmes, Orange, Saintes… ?
Toutefois, depuis le règne de Louis XIV, les fouilles archéologiques attestent la variété et le nombre de sites gallo-romains en Normandie. Les premières découvertes spectaculaires se trouve dans un modeste village à 15 mn de Caen : Vieux. A cet endroit, s’étalait la ville romaine d’Aregenua.
Aregenua est précisément un chef-lieu de cité. Ce mot de « cité » s’entend en son sens antique : un territoire grand comme un de nos départements, souvent moins, et peuplé par un peuple gaulois. En l’occurrence, Aregenua est la capitale des Viducasses.
Modèle réduit de Rome, Aregenua compte plusieurs monuments publics bâtis en pierre : des thermes, un théâtre et un forum (place publique). Un aqueduc alimente en eau des fontaines. Comparable aux demeures méditerranéennes, une grande habitation privée (la maison au grand péristyle) révèle la romanisation des élites : les bâtiments s’ordonnent autour d’une cour ornée d’un bassin et entourée d’une galerie à colonnade (le péristyle). Les mosaïques au sol, les murs peints, les colonnes sculptées, toute l’ornementation confirme l’influence romaine, comme le système de chauffage de certaines pièces (hypocauste).
Les villes romaines
Les Romains sont-ils ceux qui ont créé les premières villes en Normandie ? La question divise les archéologues. Les Gaulois se retranchaient dans des places fortes que César appelle des oppida. Leurs fouilles donnent peu de vestiges. D’où les doutes sur leur urbanité.
D’après les observations archéologiques, les Romains créent, dès le règne de l’empereur Auguste, un réseau de villes qui ne se calque pas sur les oppida. Autant les oppida occupent des positions hautes, autant les villes romaines préfèrent s’établir dans les vallées. Elles sont souvent les chefs-lieux des différents peuples gaulois de la future Normandie.
- Aregenua (Vieux-la-Romaine), chef-lieu des Viducasses
- Rotomagus (la future Rouen), chef-lieu des Véliocasses
- Juliobona (Lillebonne), chef-lieu des Calètes
- Mediolanum Aulercorum (Evreux), chef-lieu des Aulerques Eburovices
- Noviomagus (Lisieux), chef-lieu des Lexoviens
- Augustodurum (Bayeux), chef-lieu des Bajocasses
- Alauna (Valognes), ancien chef-lieu possible des Unelles
- Constantia (Coutances), chef-lieu des Unelles au Bas-Empire,
- Legedia (Avranches), chef-lieu des Abrincates,
- Nudionum (Sées), chef-lieu des Sagiens-Esuviens.
A l’occasion de fouilles préventives, les archéologues retrouvent une partie de leur parure monumentale et des demeures luxueuses.
Le théâtre gallo-romain de Lillebonne est l’un des plus vastes de Gaule
L’obscure part gauloise
La culture romaine séduit les Gaulois. Ils se baignent dans des thermes, assistent à des combats sanglants dans des amphithéâtres, incinèrent leurs morts sur des bûchers funéraires ; ils s’habillent en toge ou en tunique. D’après la langue des documents épigraphiques, le latin semble la norme.
Une assimilation aussi réussie s’explique notamment par le ralliement d’une partie des élites gauloises à Rome. Les empereurs romains leur abandonnent l’administration des chefs-lieux de cité et leur octroient la citoyenneté romaine. Les plus brillants peuvent envisager d’entrer au Sénat à Rome. Ces hommes témoignent de leur ascension sociale en finançant des animations et des bâtiments publics typiques des villes romaines. C’est ce que raconte le marbre de Thorigny, un bloc de pierre retrouvé au XVIe siècle. L’inscription détaille la carrière d’un certain Titus Sennius Solemnis, glorieux citoyen d’Aregenua. Ce notable finança l’achèvement des thermes de sa ville, et exerça la fonction de grand prêtre du culte impérial à Lyon, la capitale des Gaules, où il offrit un spectacle de gladiateurs.
Qu’est devenue la culture gauloise ? Ses traces sont très discrètes ou incertaines. Il faut peut-être les rechercher dans les techniques de construction. Sur les sites fouillés, les archéologues repèrent les fondations d’édifices simplement construits en bois et en torchis. Comme l’était les édifices antérieurs à la conquête romaines. Dans ce domaine, il y a donc la survivance d’une tradition locale. Les maisons à pan de bois qui composent l’image classique de la Normandie remontent au plus tard à l’époque gauloise.
Le domaine de la religion illustre la complexité des relations culturelles. Rome élimine les druides mais accepte le culte aux dieux gaulois. Pour autant, les autochtones assimilent souvent leurs divinités à celles de Rome (en particulier Mercure, mais aussi Apollon, Mars, Jupiter, Minerve, Vénus…). Le caractère gaulois survit à travers des attributs spécifiques du dieu ou par un surnom d’origine locale. Au sanctuaire de Berthouville, est célébré par exemple Mercure Canetonensis. Un syncrétisme s’opère. Dans les campagnes, les Gaulois édifient des petites temples carrés (les fana) qui ne relèvent ni d’une tradition celtique, ni d’une architecture romaine. Mais l’empreinte de Rome est dominante, à l’image des grands complexes religieux établis à l’écart des villes. Le plus impressionnant exemple est Gisacum près d’Evreux où plusieurs temples à colonnades voisinent des boutiques, des thermes et un théâtre.
Statue en bronze de Jupiter, au musée d’Evreux, retrouvée au XIXe siècle sur le site de Gisacum
Les campagnes transformées
Avant la conquête romaine, les campagnes sont déjà largement déboisées, parsemées de fermes et irriguées par des routes. Les Romains renforcent le réseau par des voies romaines au tracé imperturbablement rectiligne. Les fermes gauloises disparaissent quasiment toutes, remplacées notamment par de grands domaines d’exploitation (les villae). Certaines sont remarquables par leur dimension (la villa de la Petite Houssaye, en forêt de Brotonne s’étend sur 550 m de long et 150 m de large). D’autres se distinguent par leur plan complexe, leur décor raffiné (mosaïque) ou leurs éléments de confort (la villa d’Aubevoye, près de Gaillon, comporte des bains).
Dans les campagnes, les archéologues ont mis au jour des agglomérations secondaires. Certaines peuvent être qualifiées de ville, au vu de leurs bâtiments publics et de leur trame orthonormée de rues : Port-Bail, Fontaine-les-Bassets, Caracotinum (Harfleur), Briga…
Parfois, il n’y a pas besoin d’entreprendre des fouilles pour découvrir des vestiges. Des reconnaissances aériennes suffisent. Observez cette photo. En son milieu, la croissance différentielle de la végétation révèle des traces de bâtiments quadrilatères, probablement romains. Secteur du Vieil-Evreux (Eure). Bing Images, Archéo 27.
Gare toutefois à la belle image d’Épinal. La Normandie gallo-romaine ce sont aussi des maisons modestes, en colombages, comme on l’a vu. Ce sont aussi des petites agglomérations et des petites fermes et non seulement des villas comme on le décrit un peu rapidement. Dans les villes, à côté des centres monumentaux, des quartiers artisanaux travaillent la laine, l’os, les peaux, le verre, le fer et la céramique.
L’Antiquité tardive : incursions barbares et christianisation
En 253, des Francs et des Alamans parviennent à franchir la frontière militarisée du Rhin et se répandent en Gaule. Puis, la succession au trône impérial tourne à la guerre civile. La pax romana (paix romaine), qui durait depuis trois siècles, est définitivement brisée. Aux attaques terrestres, s’ajoutent les raids saxons venus de la mer. Preuve de l’insécurité, les habitants enterrent leur argent, cachettes que des archéologues retrouvent bien des siècles plus tard.
Elément du castrum qui protégeait la ville d’Evreux. Musée d’art, histoire et archéologie d’Evreux.
Incendiées, les principales villes se recroquevillent derrière des remparts (castrum). A l’exception d’églises, les notables ne construisent plus de grands monuments et n’entretiennent plus les anciens. Au contraire, on les détruit pour en récupérer les pierres et bâtir les nouvelles murailles. Dans les campagnes, nombre de villae disparaissent, converties en carrière de pierre, parfois réoccupées sous des formes précaires. Des esclaves en révolte ou des citoyens ruinés forment des bandes qui désolent la région. Dans ce contexte d’insécurité, l’Empire réagit en affectant des légions et en autorisant l’installation de groupes de Germains. A eux de défendre le territoire.
En cette période troublée, la place de Rouen (Rotomagus), capitale des Véliocasses, s’affirme. L’empereur Dioclétien (284-305) la promeut chef-lieu de la province de Seconde Lyonnaise. Étrangement, les dimensions de cette circonscription, redéfinie vers l’an 380, préfigurent celle de la future Normandie. Preuve de la primauté rouennaise, la ville accueille dès le début du IVe siècle un évêque. Ce qui signifie la présence d’une importante communauté chrétienne. La région se christianise, la population urbaine plus exactement (Bayeux/Augustodurum accueille à son tour un évêque).
Les archéologues peinent à trouver les traces de ce premier christianisme, des églises par exemple ou des objets marqués d’une croix. D’une manière globale, la fin de l’Antiquité ressemble à un trou noir. Les fouilles trouvent exceptionnellement des vestiges du Ve siècle. Sous les coups des offensives germaniques, la défense romaine se désintègre sur mer comme sur terre. La Gaule du nord échappe à l’empereur. Qui la contrôle ? Des chefs barbares ? Des généraux romains ? Des chefs autochtones ? La situation est confuse. Quoi qu’il en soit, c’est le roi Clovis (481-511), qui intègre toute la Normandie dans le royaume franc. Nous entrons dans l’époque mérovingienne.
Stèle funéraire du Ve ou VIe siècle, découverte en remploi dans une ferme carolingienne. Avez-vous remarqué dans l’angle inférieur gauche, le chrisme gravé ? Une preuve de l’appartenance au christianisme du défunt. Musée de Vieux-la-Romaine.
Pour en savoir plus
- Reportages vidéo de France 3 Haute-Normandie sur le site archéologique de Briga
- Reportage vidéo de Normandie TV sur le site archéologique d’Aregenua
- Reportage vidéo de France 3 sur la découverte d’un port romain à Aizier au bord de la Seine
- 2 sites majeurs à visiter : Gisacum et Vieux-la-Romaine
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